Hunger

Eneber était furieux.

Lui, un noble comme cela, traité de la sorte? Non mais pour qui se prenaient-elles? Elles devaient savoir, pourtant, qu’il était le Sauveur, non? Et elles osaient tout de même! Salopes! Vermines de basse classe! Elles ne méritaient même pas de vivre! Lorsqu’il allait sauver l’Empire, il se ferait un plaisir de les laisser périr! Elles allaient devoir apprendre le respect si elles voulaient un meilleur statut! Et si elles pensaient qu’elles pouvaient se la permettre, juste parce qu’il n’était qu’un enfant… eh bien elles se trompaient! Il allait en parler à son père, ça, elles pouvaient en être sûres!

Le « saint » Porteur dévalisait les corridors, à la recherche de la nourriture que les esclaves lui avaient refusées, dédaigneuses. Elles s’étaient complètement fichées de son nom, de son statut, de sa race même! Quel manque de respect! C’était pour ça qu’elles n’étaient que des esclaves, que personne ne voulaient d’elles! Même les soldats n’avaient aucun respect pour celles-là, ils ne daignaient même pas les courtiser! Elles allaient mourir comme de vieux croutons rancis ― si elles survivaient… Normalement, quand on ne connait pas sa place, on s’en fait donner une nouvelle qui nous sied à perfection. C’était tout ce qu’elles méritaient!

D’un coup de griffes vif, il empala un rat, gros, gris, sale, l’immobilisant dans la poussière du sol. Sur le coup, Eneber figea. Le rat couinait comme un porc, comme ces soldats obèses incompétents, relâchant quelques selles sur le sol. Ce spectacle si pathétique lui donnait le goût de vomir… Était-il vraiment prêt à se rabaisser à de la peste? Était-il si désespéré? Il allait en être malade pendant des semaines, s’il se nourrissait de cela… Qu’est-ce qui disait que cette bête ne portait pas des centaines de maladies? Elle s’était sûrement promenée dans des déchets et s’était certainement nourrie de pourriture moisie.

La créature s’immobilisa, morte ― Eneber eut un malaise, mais ces créatures n’étaient pas faites pour vivre… ― et le sang coula entre les doigts du Porteur. Oui. Oui, il était désespéré à ce point. Sa Faim était trop grande; il devait boire maintenant. Juste… juste une goutte. Juste une mince once serait suffisante pour le calmer. Ah, ces maudites esclaves… Elles allaient payer s’il tomberait malade de cette ordure!

Le corps chaud toujours empalé dans les griffes du Vampyrus, le jeune noble contracta ses doigts, n’osant pas prendre la bête dans sa main, puis la souleva dans les airs, ouvrant sa bouche grande. La langue tendue, ses crocs bien visibles, il attendit avec une patience d’ange que des gouttes de sang s’écoulent du cadavre, tombant directement dans sa gorge. Il n’allait certainement pas mordre là-dedans! Il était peut-être affolé par la faim, mais il avait assez de jugement pour ne pas approcher ses dents de… de ça!

Lorsque le sang arrêta de couler, glissant plutôt entre les poils sales, Eneber le lança d’un coup sec vers sa gauche, ne voulant pas voir ses vêtements tachés par cette bête immonde. Il gratta le seul, enlevant le plus gros de sang de ses griffes, se promettant d’aller se laver les mains le plus rapidement possible.

Il soupira, grognant légèrement. Ce sang avait un goût encore pire que ceux des tanieths. C’était complètement dégoûtant. Il sentait même son estomac se tordre de douleur! Il en pleurait presque; lui, obligé de se nourrir d’ordures de ce genre! Même les paysans avaient de meilleurs repas que cela! Il aurait préféré mangé du porc froid plutôt que cela! Avec plein d’épices, même! C’était dégoûtant à ce point-là. Jamais il ne répéterait cette expérience… ou du moins, espérait-il. Ce n’était pas la première fois que les esclaves se moquaient de lui, ou des Vampyrus. Cette fois-ci, il avait dû chercher dans la forteresse, vu que le soleil n’était pas encore couché. Affaiblit comme il l’était, il n’aurait pas pu supporter les rayons de lumière. Surtout sans ses ténèbres chéries.

Patience… Encore une heure ou deux, lorsque le ciel serait sanglant, il pourrait tenter sa chance sur la plage. Il n’était pas vraiment friand des poissons, mais il était capable de les apprécier.

Tout de même… si son père l’avait vu, se nourrissant d’une telle bête comme un alcoolique en manque, il serait horrifié. Il l’aurait renié sur le champ. Des nobles comme lui ne peuvent s’abreuver de nourriture de basse classe! Et en plus, il n’était même pas satisfait… Il avait encore faim. Ses crocs étaient sorties, bien aiguisées, prête à mordre dans n’importe quoi. Son odorat cherchait le sang, il en tremblait même presque. Il avait besoin de sang… et quelqu’un venait vers lui… Quelqu’un venait vers lui? Qui était-ce? Ses sens étaient bien trop affolés pour qu’il puisse l’identifier, puisque la personne était cachée derrière les murs de terre. C’était mieux d’être une esclave elfe! Juste pour elle, il se permettrait de la tuer, de la vider de son sang! (Même si, étant un enfant, il n’avait pas un appétit assez grand pour vider un adulte. Seulement des petites bêtes.)

« Qui va là? » demanda le jeune noble Vampyrus, d’une voix forte et ferme, comme son père le faisait… mais avec sa voix enfantine, cela devait probablement paraître ridicule. Qu’importe, Eneber n’en avait que faire des gens qui se moquaient de son âge; non seulement il était un noble, tel un prince de sa race, mais il était aussi le sauveur d’un empire. Il était mieux que tous ces gens.
Sauf l’Empereur…